Faciliter une œuvre collective, entre ancrage, dignité et vibration
Il est des journées où l’on se sent simplement à sa place. Où l’on respire, ensemble, une qualité de présence rare. Où l’on assiste, en toute humilité, à quelque chose de plus grand que soi : l’expression plurielle d’un “nous”.
C’est ce que j’ai vécu lors de cette journée co-construite pour la communauté Emmaüs Vienne Lyon Sud, imaginée et portée par la compagnie « Les Bandits Manchots ». J’y suis intervenue comme facilitatrice, en sous-traitance, aux côtés de cinq autres collègues et de deux comédiens d’improvisation. Une équipe engagée, au service d’un collectif lui-même porteur d’engagements puissants.

Un fil rouge sensible, entre structure et liberté
Le déroulé, rigoureusement préparé en amont, était pensé pour faire vivre une expérience humaine : inclusion par le jeu, partage de récits personnels, exploration des valeurs fondamentales du collectif, écriture de raisons d’être, puis création d’une fresque collective.
Chaque étape était guidée par une intention claire : favoriser la parole de chacun·e, dépasser les statuts, s’ancrer dans le sens. Les méthodes étaient ludiques, accessibles, parfois poétiques. L’ensemble des participant·es – compagnons, bénévoles, salarié·es – s’est peu à peu laissé porter.
Ce que j’ai observé : un glissement. D’abord une légère retenue, puis des regards qui s’ouvrent, des corps qui se tournent les uns vers les autres, des phrases qui sortent. Et ce fil rouge puissant : le sentiment d’appartenance.


Ma posture de facilitatrice : présence, éthique et attention fine
Dans ce type de dispositif, ma posture de facilitatrice prend tout son sens. Il ne s’agit pas “d’animer”, mais de faire exister les conditions d’une parole vraie.
J’ai veillé à :
- accueillir sans jugement les silences ou les hésitations ;
- inviter, sans forcer, ceux qui n’osaient pas encore se dire ;
- poser un cadre clair et rassurant pour que la confiance circule ;
- ajuster le rythme selon les dynamiques du groupe ;
- faire émerger les signaux faibles qui racontent autant que les mots.
Être facilitatrice, c’est habiter l’espace de l’entre-deux : entre parole et écoute, entre individu et collectif, entre contenu et relation.
Et c’est parfois, aussi, laisser les émotions nous traverser.
Je me souviens d’un compagnon, au moment du cercle d’ouverture, qui a simplement dit : “Je suis venu ici, il y a dix ans, parce que je ne savais plus où aller. Aujourd’hui, je sais que je suis utile.” Cette phrase m’habite encore..

Une mise en mouvement des pratiques collaboratives profondes
Au-delà de la forme sensible, cette journée m’a aussi rappelé l’importance stratégique de créer des espaces de reliance dans les organisations. Trop souvent, les structures s’enlisent dans des fonctionnements implicites, des injonctions paradoxales ou des cloisonnements invisibles.
Ce type de séminaire agit comme un révélateur : il met en lumière ce qui nous unit, ce qui fait sens, ce que nous portons ensemble. Il permet de dépasser les logiques descendantes et de retisser du lien horizontal.
Les pratiques collaboratives ne relèvent pas du “bonus” : elles sont une des conditions de la résilience, de l’engagement, de la santé des collectifs. Et elles nécessitent d’être accompagnées, incarnées, ritualisées.
Un point d’orgue émotionnel : la fresque et les voix de tous
L’après-midi a culminé dans un moment que je n’oublierai pas : la création de fresques collectives, à partir des raisons d’être formulées en petits groupes. Pinceaux, collages, gommettes, post-it colorés… le tout mis en forme par chaque sous-groupe, accompagné·es par nos soins.
« Chez nous, la solidarité, c’est ouvrir la porte, même à ceux qui n’osent pas frapper. » Ce moment a donné chair aux valeurs. Il les a incarnées dans un espace émotionnel, poétique, presque sacré.






Pour conclure
J’en ressors touchée. Ressourcée. Inspirée.
Et profondément convaincue qu’il nous faut multiplier ces espaces. Ces respirations. Ces temps où la parole circule sans hiérarchie, où chacun·e peut contribuer à une œuvre collective, où l’on prend soin du sens, ensemble.
C’est ce que je propose aujourd’hui, notamment à travers les séminaires expérientiels co-conçus avec Les Bandits Manchots : vivre collectivement des expériences transformatrices, où l’intelligence collective n’est pas un mot à la mode, mais une pratique concrète, incarnée, éthique.
Et si l’on créait plus d’espaces comme celui-ci, où chacun peut dire “je”, pour mieux faire émerger le “nous” ?



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